vendredi 10 juillet 2015

Grèce : que faire ?

Bonjour à tous !

Ravi de revenir parmi vous, le temps d'un post exceptionnel consacré à la Grèce. Cet article sera peut-être un peu plus long qu'à l'accoutumée, mais il importe de bien comprendre de quoi il retourne pour se faire une idée la plus précise possible.

I - La Grèce, un pays déchiré depuis 2 siècles

En vérité, quiconque se penche sur l'histoire de ce petit pays d'Europe méridionale s'aperçoit qu'il a connu une histoire mouvementée, trouble : de la présence ottomane à la dictature des colonels en passant par la Seconde Guerre Mondiale, le pays hellène a payé sa livre de chair et de sang. Des périodes sombres qui n'ont réveillé le sentiment national qu'à partir des années 1820, quand l'émancipation vis-à-vis de l'encombrant voisin turc devint un désir impérieux. Mais ce pays, si petit soit-il, n'a jamais développé de fibre étatique pour autant : le peuple grec est fier de son histoire, de l'héritage qu'il a laissé au monde durant l'Antiquité, mais chacun vit dans son coin, méfiant envers un pouvoir central dont on considérait qu'il aurait tôt fait de se coucher devant un envahisseur ou un dictateur. Résultat, il n'y a jamais eu d'organisation de recouvrement de l'impôt, jamais de mise en avant de l'Etat, de son rôle et surtout de ce qu'il pouvait apporter au citoyen. Avec le temps, la situation ne s'est pas arrangée et la Grèce était alors, au matin de son entrée dans l'Union Européenne, un pays où le clientélisme était roi, le paiement en liquide, une règle et le sens du devoir passait bien après. 
Toutefois, toutes ces scories, visibles dans les chiffres et bilans par n'importe quel titulaire d'un BTS en comptabilité est miraculeusement passé à la trappe lorsque l'on a souhaité un élargissement de ce qui s'appelait encore la CEE. Mario Draghi, qui travaillait alors pour Goldman Sachs (tiens donc) et chargé à l'époque de certifier les comptes du pays pour la préparation au SME (Système Monétaire Européen) n'a alors rien trouvé de mieux que de falsifier les résultats au nom, déjà, du dogme européen. L'Europe à tout prix vaut bien quelques sacrifices, et ce genre de personnage, fédéraliste et libéral jusqu'au bout des ongles, n'allait pas s'embarrasser avec sa conscience ou la morale. Et tant pis si, en réalité, la Grèce n'était clairement pas capable d'assurer une monnaie aussi forte que l'Euro. Après moi, le déluge. Et voilà le résultat.

II - La dette grecque, un puits sans fond

Evidemment, avec la catastrophe économique de 2008 et l'organisation des coûteux JO d'Athènes de 2004, il n'y avait plus d'arbre pour cacher la forêt : la Grèce, sans outil industriel d'envergure ni moyens de productions développés, ne pouvait tenir longtemps à ce rythme. Le pays devait en effet importer la quasi-totalité de ce qu'il consommait, incapable d'avoir développé une économie de subsistance : on importait alors de la nourriture, du matériel industriel, militaire, médical, bref tout ce dont a besoin une puissance occidentale pour conserver un certain standing et faire partie du cercle privilégié des pays où circule la Monnaie Unique. Mais n'ayant que quelques produits agricoles de niche à proposer à l'exportation et l'industrie touristique pour faire entrer les devises, le déficit ne pouvait que se creuser. Règle de base de l'économie : quand on dépense plus qu'on ne gagne, rien ne va plus. Sans compter un système fiscal bancal, pour les raisons expliquées plus haut, et des castes privilégiées dispensées de l'impôt (les puissants armateurs dont la famille Onassis et l'omnipotente Eglise orthodoxe sont dispensés de toute taxe), histoire de corser la difficulté.
Tout allait à peu près bien tant que l'économie mondiale continuait sa fuite en avant due aux bienfaits artificiels de la globalisation. Evidemment, quand les touristes ont commencé à moins venir après la crise et que les carnets de commande des armateurs, premiers à faire tourner la machine de la consommation du pays, se sont vidés, il n'y avait plus rien pour faire illusion.
Alors on a fait appel aux copains pour se sortir de la panade. Le problème, c'est que l'Euro restait une monnaie trop élevée pour les faibles exportations hellènes. Le pays était pris à la gorge. Surtout quand on a appris par la suite que ce sont les banques privées étrangères qui se sont d'abord gavées des prêts allemands, français ou finlandais tandis que le citoyen lambda ne voyait pas l'ombre d'un centime d'euro d'aide tomber dans sa poche.
Avec un chômage en hausse, des services publics qui se dégradent du fait des "réformes" libérales exigées par les créanciers, la dette ne pouvait que gonfler. On a administré au pays un remède pire que le mal. Une telle austérité ne pouvait pas lui permettre de redresser la barre, et donc de redevenir solvable auprès de ses prêteurs. Cependant il y a fort à parier que ces derniers ne souhaitaient pas voir la Grèce s'en sortir, mais plutôt faire banqueroute afin de se partager les restes pour quelques bouchées de pain, en bons vautours qu'ils sont. Ne nous y trompons pas : l'Union Européenne est d'abord la réunion de cupides technocrates, caricatures de ce qu'ils critiquent en public pour mieux les vénérer tout bas, les Américains. 

III - Une insolvabilité inéluctable :

On en vient donc à la "découverte" du jour faite par tous nos amis endimanchés de Bruxelles et Washington, M Juncker, Mmes Merkel et Lagarde en tête : on aurait prêté de l'argent à un pays qui n'est pas en mesure de rembourser ! Saperlotte ! Diantre ! Palsambleu ! L'effronté grec ne veut pas rembourser et que fait-il pour marquer son ras-le-bol face à des réformes pourtant vues comme des progrès inéluctables, chères à notre vieil ami, Jacques Attali ? Il vote à Gauche ! Impensable. Pas la Gauche-Droite centro-libérale pudiquement appelée "sociale démocrate", non, cette "vieille" Gauche qui a comme une odeur rance, attendez... mais oui, on dirait du...du populisme ??!!! (là il faut imaginer Janet Leigh en train de crier sous la douche dans Psychose pour bien réaliser l'ampleur du drame). Mais enfin, ils sont fous ces Grecs : alors qu'on avait fini par s'entendre avec des gouvernements de Gauche-et-de-Droite-qui-pensent-comme-nous, voilà qu'ils osent, les gougnafiers, mettre aux commandes un type qui dit qu'il va mettre un sérieux coup de frein à l'austérité économique et aux réformes, béni soit leur nom. Hors de question de se laisser faire, on allait réunioner et montrer à ces sales gosses ce qu'il en coûte de remettre en cause l'autorité toute-puissante des supra-nationaux non élus (ils n'ont pas besoin de l'être puisqu'ils ont raison, ils savent, ils sont le Bien). 
Hélas, ou plutôt Tsipras, Syriza ne s'en est pas laissé compter. Hors de question de bousculer le programme pour lequel il a été élu : considérant les demandes de la troïka comme exagérément élevées, il a donc demandé à son peuple de voter par référendum si ces mesures étaient acceptables ou non. Et les Grecs ont tranché, à 61%, en faveur de Tsipras et contre ces plans d'austérité iniques.

IV - Sus à la démocratie

Evidemment, ce fut la douche froide pour les capitales européennes, qui avaient tellement perdu l'habitude de voir un peuple souverain s'exprimer sur une question le concernant directement : c'est donc ça la démocratie ? Eux qui croyaient que cela consistait à organiser des élections de temps en temps avec des gens pensant tous la même chose pour finalement faire l'opposé de ce pour quoi ils avaient été élus, forcément, le choc est rude. Et ce fut alors un brouhaha d'insultes, d'invectives, venant des politiques comme des médias pour dénoncer l'irresponsabilité grecque, la Maîtresse Domina du FMI expliquant même qu'il fallait désormais que les discussions se déroulassent "entre adultes" et que le petit Alexis et son ami turbulent, le dénommé Yanis Varoufakis, allassent jouer ailleurs. 
Je vais quitter deux minutes les habits du sarcasme pour redevenir extrêmement sérieux : il est criminel, impensable, honteux, qu'un continent comme le nôtre, berceau des humanités, de l'art, de la Renaissance et de la philosophie critiquent à ce point l'expression souveraine d'un peuple avec qui l'on joue en cherchant à en faire un exemple alors que son PIB ne représente que 2% du PIB de l'UE. Il n'y a pas de mots assez durs pour qualifier l'irresponsabilité, la malhonnêteté intellectuelle avec lesquelles ont opéré des figures aussi diverses qu'Angela Merkel, Pierre Moscovici, Jeroen Dijsselbloem, Jean-Claude Juncker, Jean Quatremer, Pierre-Antoine Delhommais ou Christophe Barbier. Ces gens n'ont eu d'autres arguments que ceux de la peur pour déstabiliser et fausser l'opinion des Français et des Européens sur la question. On a beau jeu de dénoncer le "populisme" de certains partis et de certaines figures européennes de la politique, mais quand on vend de la peur aux gens pour les empêcher de réfléchir sereinement et posément à un problème, ce n'est plus du populisme mais du fascisme. Et c'est bien pire !

V - Maintenant on fait quoi ?

Malheureusement, Tsipras n'ira pas au bout de sa logique : trop effrayé à l'idée de devoir plonger dans l'inconnu, il ne renoncera pas à l'Euro, sauf contraint et forcé. Il y a fort à parier que la logique des créanciers finissent par l'emporter après une longue guerre d'usure. On fera un peu de cosmétique pour maquiller la défaite de Syriza, en effaçant 25 à 50% de la dette par exemple, mais il y aura de nouveaux prêts, au moins de la part du FMI. Car il est impensable pour les technocrates que la Grèce sorte de l'Euro, ils ne veulent pas d'un effet domino qui entraînerait immanquablement d'autres pays avec lui : le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la France ou l'Irlande. Alors on prêtera, le coeur lourd mais on prêtera et en contrepartie on mettra le pays en coupe réglée pour se payer sur la bête. 
Idéalement, il faudrait que le bon sens l'emporte. Les très nombreux économistes qui disent que l'Euro a vécu et que c'est une religion malsaine, un totem inique, doivent être entendus. La Grèce, a minima, doit sortir de l'Euro, et au mieux, il faut mettre un terme à l'UEM (Union Economique et Monétaire, nouveau nom du SME). Chaque pays d'Europe doit retrouver sa souveraineté monétaire et budgétaire, afin de construire, éventuellement - ce n'est pas une obligation - une Europe différente qui serait alors basée sur la mise en commun de ressources scientifiques en vue de grands projets, comme Ariane Espace, EADS, Philae, etc. 
Quant à la Grèce, en plus de lui laisser retrouver la Drachme, il faudrait effacer tout ou partie de sa dette, en grande partie illégitime comme expliqué ultérieurement. De toute façon, les marchés ont anticipé ce fameux "Grexit", il n'y a donc pas de soubresaut particulier à craindre. Et la dévaluation annoncée de la Drachme serait en réalité maîtrisée avec une annulation partielle de la dette et un retour de l'exportation et du tourisme, avantagés par une devise attractive. Pour peu que le pays fasse enfin sa révolution fiscale afin de faire payer tout le monde et qu'il exploite son extraordinaire potentiel maritime, alors ce pays pourrait devenir une bonne surprise dans la décennie à venir. Mais là je verse dans l'utopie...

A bientôt. Peut-être...

Pour aller plus loin:

- à propos du rôle trouble joué par M Draghi dans cette histoire :
http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2011/10/31/la-grece-dossier-noir-de-l-ancien-vrp-du-hors-bilan-chez-goldman-sachs_1596412_1581613.html

- à propos de l'illégitimité de la dette grecque :
http://l-arene-nue.blogspot.fr/2015/06/dette-grecque-preparez-vos-oreilles-les.html

- à propos des économistes favorables à une sortie de l'Euro (attention, c'est un poil technique)
http://leseconoclastes.fr/2015/07/bfm-du-06-juillet-2015-oxi/

- enfin, à propos de l'idiotie congénitale régnant au sein de la presse française :
http://videos.lexpress.fr/actualite/politique/video-comment-sauver-l-europe-la-une-de-l-express-l-edito-de-christophe-barbier_1697170.html

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