Après deux ans d'atermoiements, on sait enfin pourquoi François Hollande a été élu : pour faire du découpage-collage. Mais comme ça, comme pour le reste, la réussite n'est hélas pas au rendez-vous.
Au petit bonheur la chance
Jaloux maladif de ce qui se passe en Allemagne, croyant de la manière la plus orthodoxe possible que la success story d'outre-Rhin doit être soigneusement retranscrite en France, notre bon président a sorti un nouvel atout de sa manche : redécouper les régions à la façon des Lânder. Et ça ne peut pas marcher... D'abord parce que l'Allemagne, dont la superficie est moindre que celle de notre territoire, compte 16 Lânder ; nous, nous devrions nous contenter de 13 régions... Qui plus est, les fusions ne répondent à aucune logique ou presque. Si l'Ile-de-France et la Corse conservent leur indépendance, l'Alsace va se voir affublée de la Lorraine et de la Champagne-Ardennes... Pas de quoi se réjouir, tant l'histoire et l'économie de ces différents territoires sont dissemblables.
D'autre part, le fédéralisme allemand est un héritage direct de son histoire complexe, celle du Saint-Empire romain germanique, qui était un agrégat de principautés autonomes et dont l'Empereur se contentait de gérer les affaires courantes. En France, notre pays est un état central depuis l'Empire de Charlemagne, au moins ! Agglomérant avec soin l'héritage gallo-romain, les influences grecques en Méditerranée, les invasions germaines et normandes, notre pays a vite compris que seul un pouvoir central fort rayonnant sur l'ensemble du territoire pouvait faire marcher tout le monde dans le même sens. Si notre pays fut de nouveau réduit à la portion congrue lorsque Hugues Capet reprit le trône en 987, il avait déjà repris toute sa vigueur lors de la Grande Ordonnance de Saint-Louis en 1254, établissant une première organisation de l'administration du royaume sur différents échelons afin de concerner l'ensemble du territoire.
Plus tard, lorsque l'Empire de Napoléon fut au maximum de sa puissance et de son étendue, l'Empereur avait divisé notre pays en 130 départements, de la Wallonie à la Corse du Nord au Sud, et de la Bretagne à la Rhénanie-Palatinat, de l'Ouest à l'Est (on notera au passage une curieuse similitude géographique avec la France carolingienne, ce contour du territoire étant sans nul doute la France historique telle qu'elle devrait encore exister aujourd'hui, mais c'est un autre débat). Le principe du département tel qu'il avait été voulu était que le chef-lieu se trouvât à une journée de cheval maximum de l'administré : la volonté était donc forte de rapprocher l'Etat des habitants. Les régions, telles qu'elles ont été développées en 1982 après la première loi de décentralisation (Lois Deferre) n'avaient aucune justification historique, à quelques exceptions près, qui concernaient essentiellement les extrémités du territoire (Alsace, Bretagne notamment). A plus forte raison, quelle identité aura un territoire créé artificiellement sur un coin de table si, dans une proportion plus petite, il n'avait déjà pas d'identité propre ?
Un foutoir mémorable en préparation pour des économies inexistantes
Si, au moins, François Hollande avait le courage d'aller au bout de sa logique et de supprimer les départements, pour faire des économies sur un échelon administratif : mais non, il ne le fera pas. En réalité, il ne fait que créer de puissantes baronnies qui vont affaiblir le pouvoir central au profit de l'Union Européenne qui rêve de pouvoir s'adresser directement à des régions voulant sauter le centralisme d'Etat, comme c'est le cas pour la Catalogne, la Flandre, ou l'Ecosse. On va se retrouver avec un pays dans la même configuration que pendant la Guerre de Cent Ans où un Roi diminué était moins puissant que certains de ses vassaux, quand ces derniers n'étaient pas carrément à la solde des Anglais (comme ce fut le cas des Bourguignons). En plus, c'est la porte grande ouverte pour un triomphe du FN aux prochaines élections territoriales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, où on ne voit pas bien qui pourrait empêcher Marine Le Pen de l'emporter. Une nouvelle occasion pour la Gauche au pouvoir de dénoncer la libération de la parole, la présence prégnante dans les médias d'intellectuels réactionnaires et tutti quanti... Tout plutôt que de parler du fond, et une stratégie électoraliste de bas étage supplémentaire pour s'assurer de la présence de Marine Le Pen au deuxième tour en 2017 afin de s'assurer d'une victoire à la Pyrrhus...
Pendant que François Hollande et le PS se débattent pour nous pondre cette énième mauvaise idée, c'est le citoyen qui, une fois de plus, sera le grand perdant de l'Histoire : avec cette réforme, on pourra en effet justifier la fermeture supplémentaire de casernes militaires, d'hôpitaux, de lycées, de bureaux de poste, de tribunaux ou de gares SNCF... Bref, une nouvelle désagrégation du service public qui bénéficiera encore davantage aux grandes métropoles, éternelles gagnantes d'une mondialisation qui n'a pas fini de paupériser chaque jour davantage la France péri-urbaine chère à Christophe Guilly, Eric Zemmour et à votre humble serviteur.
Il faudrait plutôt s'inspirer de la réflexion de Nicolas Dupont-Aignan, qui prône une suppression pure et simple des régions et la création de 70 départements d'1 million d'habitants environ, afin de pouvoir proposer au même nombre de personnes le même service public de qualité en matière d'énergie, de sécurité, de Justice, d'éducation, de santé et de transports. Et cela permettrait alors au peuple des campagnes de se sentir un peu moins abandonné à son sort.
Mais bon, quand il s'agit de se mobiliser sur les territoires perdus de la République et des vrais laissés-pour-compte, on n'entend pas Benjamin Biolay composer une chanson, et on ne voit pas Les Inrocks faire un reportage sur la question : c'est bien connu, le prolo ça pue, c'est raciste et ça n'aime pas la bobo-culture parisiano-parisienne. Sauf que le prolo, il est comme tout le monde : il a son bulletin de vote, et lui il se rend fidèlement et scrupuleusement à l'isoloir. Et tant pis si ça gâche le brunch des hipsters de la Butte Montmartre...