dimanche 30 novembre 2014

UMP : l'histoire se répète

Nicolas Sarkozy au moment de son élection à la tête de l'UMP ce Samedi 29/11/14
Crédits Photo : lefigaro.fr/Gonzalo Fuentes/Reuters

Bonjour à tous !
Voilà, c'était annoncé et attendu, Nicolas Sarkozy emporte la présidence de l'UMP avec 64% des voix, devant Bruno Le Maire avec 29% et Hervé Mariton à 6%. Il ne s'agira pas ici de décrypter le programme et les propositions de chacun des trois hommes, mais plutôt d'analyser ce que ce scrutin peut provoquer au sein de la Droite française.

Comprendre la Droite française : la thèse de René Rémond

René Rémond fut un historien et politologue français, décédé en 2007, spécialiste de la Droite française. L'ancien académicien avait décelé en son temps un découpage possible de la Droite en 3 catégories : la Droite légitimiste, contre-révolutionnaire ; la Droite bonapartiste, césarienne qui a le culte du chef ; la Droite orléaniste, libérale et cautionnant la Révolution. Ce découpage est un héritage de la Révolution française.
Aujourd'hui, il pourrait paraître assez aisé de penser spontanément que l'UDI est la Droite orléaniste, l'UMP étant bonapartiste et le FN, légitimiste. Mais ce serait aller un peu vite en besogne. Si l'UDI est l'héritière de l'UDF centriste, libérale et pro-européenne, les lignes ont quelque peu bougé à l'UMP et au FN. Chez le parti de la Le Pen Company, la fille a laissé de côté les punchlines de son père et son idéologie reaganienne, mêlant libéralisme échevelé et conservatisme social. Elle a plutôt insisté pour rendre son officine médiatiquement présentable en promouvant la souveraineté nationale, le rejet de la technocratie et la défense des plus fragiles. 
Enfin l'UMP s'est considérablement compliquée la tâche en fusionnant le RPR avec l'UDF. Tout ça pour pas grand chose au final si l'on constate l'émergence de nombreux partis centristes : le MoDem, l'UDI, sans compter les radicaux. L'UMP est devenue cette auberge espagnole où, selon la formule de Charles Pasqua, "Le RPR amène les électeurs, l'UDF amène les élus." Comprendre : au RPR, gaulliste, bonapartiste, la base militante, à l'UDF l'assemblée de notables,  qui se font élire en promettant monts et merveilles à des électeurs toujours plus désenchantés.

Le mensonge de Sarkozy

En 2007, Sarkozy se fait élire sur un message important : il veut limiter l'immigration, mettre en avant la valeur travail, réconcilier les Français avec leur identité, ce qu'ils sont et ce qu'ils doivent transmettre. Alors, c'est vrai, dans les discours, il y a eu les coups d'épaule, les paroles dures et directes. Mais dans les faits, l'immigration n'a pas chuté, le chômage a continué de croître, et la sujétion à l'Europe s'est fait toujours plus forte. La Droite historique qu'il entendait incarner a laissé lâchement la place à la Droite moderniste dans les résultats. Et ça, les Français ne l'ont pas oublié en 2012. Quand Sarkozy change son fusil d'épaule et oublie sa ligne libérale-centriste entre les 2 tours, pour revenir sur un vrai discours de Droite, il limite la casse face à Hollande mais il était trop tard, le retard était trop important, la fracture, consommée. 
Aujourd'hui il revient, mais son message n'est pas clair. Il ménage la chèvre et le chou. Certes, son charisme et son talent politique lui ont ouvert le succès pour devenir président de l'UMP. Mais désormais, il doit affronter deux candidats déclarés à la primaire de 2016 : François Fillon, qui part de loin, admettons-le, et Alain Juppé, le chouchou des médias et de la Gauche. Où l'on assiste alors à un curieux coup de malice de l'Histoire.

1995 à l'envers

Petit retour en arrière, 1995 : à cette époque, la Gauche sait qu'elle ne gagnera pas les Présidentielles, la fin de l'ère Mitterrand s'achevant dans un chaos indescriptible (la maladie du Président, la cohabitation avec Balladur, le suicide de Bérégovoy, les révélations sur Mazarine Pingeot, etc). La Droite a un leader historique depuis 1974 qui est Jacques Chirac et qui attend ce moment depuis sa cinglante défaite en 1988. Mais voilà, il est "trop à droite", tout le monde a encore en mémoire la signature du congrès du RPR en 1990 avec Juppé, Sarkozy, Séguin, Pasqua et donc Chirac parmi les signataires. Dans ce congrès, on disait que l'islam n'était pas compatible avec la République, et qu'il fallait stopper l'immigration. Chirac en était encore "aux bruits et aux odeurs". Il est vrai qu'on pouvait commencer à douter de la persistance de ses idées quand il avait fini par voter "oui" du bout des doigts  au Traité de Maastricht portant un coup à la tradition de la Droite souverainiste. Enfin toujours est-il que peu l'appréciaient et le soutenaient parmi les médias. Balladur décida de se présenter, estimant entre autres que Chirac ne pouvait l'emporter et qu'il fallait tout faire pour que la Droite fût au second tour. Sarkozy soutint alors le Premier Ministre sortant, et Juppé son rival. Pour le résultat que l'on sait. Balladur ne passa pas le premier tour, les couches populaires soutenant plutôt Chirac, son discours sur la fracture sociale et son côté proche des gens, en rupture avec le côté plus aristo de l'ancien hôte de Matignon.
Alors que 2017 se profile déjà, il est amusant de constater que les rôles sont inversés : Sarkozy est honni par les médias et par la Gauche, au contraire de Juppé qui fait même le beau dans les Inrocks, excusez du peu. Sarkozy vient de démontrer qu'il était soutenu par la base militante, y compris à Bordeaux. On a bien sûr critiqué cette attitude et vilipendé l'ancien Président. Mais les militants sont la force vive d'un parti, ils ont légitimité à critiquer, plus ou moins fortement, des leaders qu'ils estiment décevants. Et tant pis pour les oreilles chastes. Qui plus est, Alain Juppé part avec le handicap d'être le favori jusque dans les sondages : il est plus que fréquent que le favori des sondages ne l'emporte pas (Barre en 88, Balladur en 95, Jospin en 2002, sans compter le crash de Strauss-Kahn avant les Présidentielles de 2011). 

Quelle conclusion ?

Au vu du contexte actuel, il est peu probable que le PS se qualifie pour le second tour de la Présidentielle de 2017. De plus, il y aura une bataille féroce pour l'organisation des primaires de 2016 : Juppé voudra une primaire ouverte en dehors du parti pour que le Centre et la Gauche viennent à son secours tandis que Sarkozy voudra évidemment une désignation par les militants. 
Il y aura forcément un déçu, les deux candidats se présenteront donc en 2017. Et l'on risque donc de voir Juppé disparaître au premier tour en compagnie du candidat PS, au profit de Marine Le Pen. L'affrontement entre Le Pen et Sarkozy au second tour est alors une éventualité à envisager sérieusement. Où l'on verra que Sarkozy l'emportera car il est difficile de voir la candidate du FN triompher, son parti étant trop petit et trop mal institutionnalisé pour gagner une telle élection. Et évidemment, il y a de grandes chances pour que le quinquennat numéro 2 de l'ancien maire de Neuilly soit aussi décevant que le quinquennat numéro 1. 
Bien sûr il s'agit là de politique fiction, mais il est bon d'avoir en main toutes les clés pour juger que décidément, l'Histoire a tendance à se répéter et qu'une fois encore, il y a peu de chances pour que la France en sorte vainqueur.

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NB : j'ai été vivement critiqué, notamment parce que mes articles manquaient de source. Je rappellerai ici le principe du billet d'humeur : il est une forme particulière d'éditorial qui a pour but d'apporter un regard critique sur un sujet d'actualité où la forme, la qualité de rédaction et une certaine mauvaise foi prévalent, dans la grande tradition pamphlétaire française (j'invite les sceptiques à consulter la page Wikipédia du billet d'humeur - oui, il y en a une). Il s'agit là d'un héritage des Lumières. Lire un éditorial d'un grand journal permettra de se rendre compte qu'il ne comporte rarement, voire jamais, de sources. Même si la presse de gauche, qui se rêve en Hommes du Président façon Pakula, ne jure plus que par les sources (cf Aymeric Caron), il n'empêche pas moins que la presse d'opinion, mêlant histoire et plaisir de la plume, est tout à fait valable, voire davantage encore car il s'agit là d'une tradition historique. Et tant pis si ce n'est pas moderne... Néanmoins, je proposerai désormais, en fin d'article, des pistes de réflexion pour que chacun puisse se faire sa propre réflexion sur le sujet proposé. 
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Pour aller plus loin :

*Rémond, René, Les Droites en France, Aubier, Paris, 1992
*http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120426.OBS7172/le-retour-des-trois-droites.html