lundi 28 avril 2014

Plaidoyer en faveur des services publics

Ouvriers sur le chantier d'Alstom en 2006
Crédits Photo : JP Muller/AFP/LeFigaro.fr

Bonjour à tous !

C'est l'actualité de ce week-end, couplée à la proximité du scrutin européen, qui m'a inspiré mon billet de la semaine. En effet, l'un des principaux effets pervers de l'Europe est le démantèlement progressif des services publics au nom, d'une part, de la maîtrise des dépenses publiques et, d'autre part, de la sacro-sainte concurrence.

Alstom, fleuron français en péril

Pour celles et ceux d'entre vous qui ne connaîtraient pas l'entreprise Alstom, il s'agit d'un géant industriel de l'énergie et des transports. On lui doit notamment la réalisation de nos TGV et de la plupart de nos tramways. Or, l'un de ses principaux actionnaires, Bouygues, par ailleurs en difficulté dans le délicat dossier du rachat de SFR, entend se désengager et laisser ainsi ses quelques 29% au plus offrant. Une aubaine que n'entend pas manquer General Electric, géant américain de l'énergie, qui mettrait ainsi la main sur l'une des plus belles têtes de pont de notre industrie, tout en absorbant un concurrent coriace. Or on apprend dans le même temps que l'Allemand Siemens réfléchirait à un échange de bons procédés : céder sa filiale transports à Alstom (qui récupérerait ainsi les ICE allemands) contre les actifs du Français dans l'énergie, chacun se spécialisant donc dans ce qu'il sait faire de mieux. Problème : là où l'Américain est déjà très près de proposer une offre concrète alors que l'Allemand n'en est encore qu'au stade de l'éventualité de l'action. Et voilà comment l'une de nos plus belles entreprises risque de passer dans les mains de l'Oncle Sam sans que ça ne semble émouvoir quiconque. 

Stop au démantèlement, oui à la rationalisation

Le problème, c'est qu'entre les cessions d'actifs, comme dans le cas présent, et les privatisations à la hussarde (la Poste, marché de l'électricité, de l'eau,...), cela fait autant d'emplois qui, à terme, disparaissent car les nouveaux investisseurs privés qui entrent au capital de ces entreprises ne cherchent qu'une chose : vendre leurs produits (ou leurs services) toujours moins cher avec toujours moins d'employés. Alors on met en avant le bénéfice pour le consommateur : les prix baissent, donc il s'y retrouve puisqu'il paraît que tout est trop cher. C'est vrai. Mais ces prix élevés sont davantage le fait d'une inflation masquée depuis le passage à l'euro (puisqu'on convertit notre Franc dans une devise plus chère, profitons-en pour augmenter les prix, après tout, qui va s'amuser à tout diviser par 6.55957 pour vérifier que cela correspond bien à l'ancien tarif ?). Aujourd'hui, disons-le clairement : baisse des prix = baisse des prestations et au final, il y a deux victimes, qui se trouvent souvent, suprême ironie, la seule et même personne : le consommateur et le salarié de ces entreprises concurrentielles aux prix attractifs. En effet, pour maintenir des coûts bas, on délocalise toute ou partie de la production, le service client subit la même avanie (les clients de Free savent de quoi je parle), on rogne sur la qualité du produit, etc. Moins cher, donc, mais de moins bonne qualité. Pourquoi ? A cause de ces satanés 15% de marge minimum que les actionnaires entendent se mettre dans les poches à la fin de chaque exercice comptable. Aujourd'hui, le capitalisme a atteint sa perversion la plus extrême : les actionnaires n'investissent plus de manière pérenne, ils spéculent. Tant pis pour les pots cassés en cours de route.
En terme de service public, c'est dramatique, puisque les tribunaux ferment, les prisons restent en nombre insuffisant et dans un état déplorable (Alan Parker pourra bientôt venir tourner un remake de Midnight Express aux Baumettes), on développe la chirurgie ambulatoire, on ferme des maternités, des services hospitaliers, des gares SNCF et des bureaux de Poste dans des villages où ils sont pourtant les derniers liens des habitants avec l'Etat. Il est évident que la fonction publique française est pléthorique, dispendieuse, et pas toujours de première efficacité. Mais ce n'est pas en fermant tout et en donnant les clés du camion au premier Qatari venu que l'on va s'en sortir. 

Revenir aux sources : souvenir de la Grande Ordonnance de 1254

En 1254, Saint-Louis proclame la Grande Ordonnance. Dans les grandes lignes, ce texte expose le maillage du territoire et la façon dont le pouvoir royal s'exercera, d'égale façon, partout où le Roi est souverain. C'est l'apparition, notamment, de la figure du bâilli. Ce texte est le premier d'une longue série qui fait de la France le plus vieil état organisé et centralisé au monde. Cela s'est renforcé successivement sous la férule des grands souverains de notre pays. François Ier a ainsi fait adopter l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, faisant du français la langue officielle. Louis XIV a développé l'originalité économique la plus innovante de l'Ancien Régime avec le colbertisme, forme de planification économique qui promouvait les industries et les investissements dont le royaume avait le plus besoin. Et enfin, bien sûr, Napoléon Ier a mis en place les 130 départements, le Code Civil, le télégraphe, la modernisation des routes... Enfin, le Général de Gaulle et Georges Pompidou ont lancé notre pays sur les rails des économies puissantes par le biais d'une industrialisation raisonnée (nucléaire notamment) couplée à un service public performant au service de tous : c'était le but notamment de la Sécurité Sociale; 
Alors qu'aujourd'hui on évoque la suppression des départements et la fusion des régions, pour faire de celles-ci une pâle copie des Länder allemands, on agit à rebours de notre Histoire. Mieux vaudrait plutôt supprimer les régions et maintenir, voire renforcer les départements. Rappelons que ce sont eux, notamment, qui s'occupent des dépenses sociales. En ces temps de crise économique, les Français ont plus que jamais besoin d'eux.Quand on interpelle un ministre sur ce non-sens historique, celui-ci rétorque qu'un investisseur chinois ne comprend pas qu'il y ait deux Normandie. Pauvre chéri. Un cours d'Histoire de notre beau pays ne lui ferait pas de mal. Après tout, aucun Français ne va en Chine leur expliquer qu'on ne comprend pas le principe du parti unique...
Idéalement, en supprimant les régions et les intercommunalités grotesques, on réduirait les doublons et on ferait d'importantes économies, qui nous permettraient de renforcer les services publics dans les banlieues, les campagnes,... Bref, rétablir la puissance de l'Etat au service des plus démunis, comme cela est le sens de l'Histoire de notre pays depuis un millénaire. Quant aux dépenses, si on veut les réduire drastiquement, on peut enfin, peut-être, aller chercher l'argent là où il se trouve. A commencer par les paradis fiscaux, par exemple. Il paraît que M. Hollande s'est auto-proclamé "ennemi de la finance". On attend qu'il joigne la parole aux actes !