vendredi 9 novembre 2012

Obama réélu : analyse et prospectives

Crédits Photo : Reuters/Jim Bourg

Bonjour à tous!

A moins que vous ne sortiez d'une longue période d'hibernation, vous avez pris connaissance de l'événement politique de cette semaine : Barack Obama a été réélu. Il est donc désormais en poste jusqu'en 2016, où il ne pourra plus se représenter. En effet, la Constitution américaine n'autorise que 2 mandats pour chaque président depuis "l'exception Franklin Roosevelt". Celui-ci avait en effet remporté 4 mandats consécutifs, de 1932 à 1945 (atteint du Syndrome de Guillain-Barré, il mourut quelques mois après sa dernière réélection, datant de 1944).
Comment Obama a-t-il été réélu alors que son bilan économique est morose, que la Chine menace l'hégémonie américaine, et que l'US Army est encore engluée dans certains conflits ou polémiques ? (Guantanomo n'est toujours pas fermé). Il faut d'abord prendre en considération qu'Obama est aimé des Américains : il a un sens de l'humour aiguisé, se montre un mari et un père de famille exemplaire, a toujours le sens de la formule et semble disposer d'une aura, d'une hauteur naturelle le rendant digne de sa fonction. En effet, il ne s'emporte pas, n'invective jamais. En outre, son adversaire, Mitt Romney, était médiocre : alors qu'il fut un bon gouverneur du Massachussetts, modéré sur les questions de société, il s'est révélé trop offensif lors de sa campagne pour plaire à la frange grandissante des extrémistes de son parti issus de la mouvance du Tea Party. La vidéo qui fit le tour de la Toile où on l'entend mépriser 47% de la population américaine lui a ainsi fait le plus grand mal. Par ailleurs, son passé d'homme d'affaires richissime n'ayant jamais hésité à délocaliser pour s'enrichir a contribué à creuser sa propre tombe. Enfin, il était intellectuellement insuffisant, en témoigne sa piteuse sortie sur les hublots dans les avions. De quoi rappeler aux Américains un certain George W. Bush dont l'ombre planait bien trop bas au-dessus de la tête du pauvre Mormon. Et puis, dernière raison et non des moindres : la modification de la démographie américaine qui a montré un pays plus divisé, plus clivé que jamais. Les hommes blancs, de toutes les classes sociales, ont davantage voté pour Romney. Mais ils sont en recul désormais par rapport aux femmes, aux Noirs ou aux Latinos qui ont tous voté Obama. Songez ainsi que 93% de la population noire américaine, au moins, a voté pour Obama.
Quels sont les défis qui attendent le 44e Président des USA ? Ils sont nombreux. Tout d'abord, il lui appartient de rassembler un pays qui, comme je viens de l'évoquer, a été très divisé tout au long d'une campagne qui a vu les coups bas l'emporter sur le débat d'idées, et ce, des deux côtés. Ensuite il lui faudra composer avec une Chambre des Représentants (équivalent de notre Assemblée Nationale) hostile, puisque les Républicains y gardent la main. Certes, il a encore la majorité au Sénat mais cela risque de s'avérer insuffisant. Surtout que se profile à l'horizon la ligne fatidique de Janvier 2013, date au-delà de laquelle le budget américain ne sera plus provisionné si un accord entre l'exécutif et le parlement n'est pas trouvé entretemps. La chance d'Obama, c'est que les Républicains vont mettre du temps à se remettre de cette défaite, et qu'il leur faudra certainement eux aussi faire des concessions si ils ne veulent pas braquer durablement l'opinion publique contre eux. Enfin, il faudra que le Président se retrousse sérieusement les manches concernant l'économie, son véritable point faible lors de sa première mandature. La croissance est encore fragile, la Chine continue à n'en faire qu'à sa tête concernant la sous-évaluation forcée du Yuan par rapport au Dollar, le chômage ne baisse que trop lentement et, surtout, une nouvelle crise d'envergure se profile à l'horizon : celle des emprunts étudiants qui représentent une somme globale de 1,000 milliards de Dollars ! Une somme faramineuse qui risque de provoquer une crise désastreuse si son remboursement n'est pas rapidement garanti.
Mister Obama, j'étais prudent lors de votre première élection en 2008, je le suis encore plus aujourd'hui. A vous de montrer que vous méritez de rester dans les livres d'Histoire !

mardi 6 novembre 2012

Les Etats-Nations mis à mal par l'Europe des régions

Saint-Louis vu par Le Gréco (Source Wikipédia)

Bonjour à tous !

Tandis que la crise économique qui nous frappe est loin d'être terminée, on assiste en Europe à un phénomène qui tend à prendre de l'ampleur depuis quelques mois : le régionalisme. Celui-ci consiste en la manifestation d'un ras-le-bol de la part de certaines régions en Europe par rapport à l'Etat-Nation qui les chapeaute. L'exemple le plus frappant est sans doute celui de la Flandre belge, qui réclame son indépendance à corps et à cris au point d'avoir empêché la formation d'un gouvernement Outre-Quiévrain pendant près de 2 ans. Le problème est simple : la Flandre est industrieuse et riche tandis que la Wallonie se paupérise en même temps que son taux de chômage augmente.
En Grande-Bretagne, c'est l'Ecosse qui, au vu de la récession qui frappe le Royaume, a décidé d'organiser un référendum dans les mois qui viennent pour s'octroyer son indépendance. Il faut dire que les terres se trouvant au nord du mur d'Hadrien bénéficient aujourd'hui d'une très belle rente financée par l'extraordinaire richesse pétrolière de leurs eaux territoriales en Mer du Nord. Au point que la ville d'Aberdeen existe uniquement grâce à cela. En Italie, la querelle est ancienne entre les indépendantistes de la Ligue du Nord qui veulent constituer la Padanie (en référence au Pô, le grand fleuve du nord du pays) et l'Etat Central qui ne veut évidemment pas que toutes les régions au sud du Latium soient laissées pour compte (comprenez : aux mains de la mafia). En Espagne, c'est la Catalogne qui manifeste de manière toujours plus virulente sa volonté de s'émanciper. Et en France, le problème le plus frappant est le problème corse.
Comment expliquer ses relents régionalistes ? Tout simplement parce que l'Europe se veut une Europe des Régions. Elle le revendique comme tel, en n'hésitant d'ailleurs pas à transférer des fonds directement à certaines d'entre elles sans passer par la case "Etat central". Cela s'inscrit dans le projet fédéral de cette Union Européenne qui se fantasme en Etats-Unis d'Europe, chose qui n'arrivera jamais ! Pensez donc : 20 siècles à se faire la guerre pour enfin en arriver à un équilibre fragile, et une multitude de peuples tous plus différents les uns que les autres, sur un territoire assez petit finalement, dont beaucoup ne peuvent pas se saquer (il n'y a qu'à regarder les histoires de chacun pour comprendre pourquoi). Bref, ce n'est certainement pas pour fonder un énorme machin (Mon Général, si vous nous regardez...) où chacun cohabiterait avec l'autre comme si il ne s'était rien passé. Ce qui est très différent de l'Histoire des USA. Mais ça, nos chers technocrates bruxellois l'ignorent sciemment. Et ils s'en contrefichent, puisqu'ils n'ont jamais à se confronter aux électeurs !
En outre, l'Allemagne, qui est le moteur économique de l'Europe, est un état fédéral où les décisions sont décentralisées très souvent vers les Länder. Et en géopolitique comme dans le reste, c'est souvent le plus riche qui impose sa loi. Pas de quoi s'étonner, donc, que les feux régionalistes s'attisent toujours plus aujourd'hui.
Et c'est précisément la raison pour laquelle cette Europe-là sera toujours en contradiction frontale avec la France. La France est le pays par excellence de la centralisation, de l'Etat fort, digne héritier de la doctrine jacobine qui voulait un Etat centralisateur et souverainiste pour passer outre les particularismes et les revendications communautaires afin d'établir, dans la transposition contemporaine du jacobinisme, une solidarité nationale redistribuée équitablement depuis la Capitale vers les régions. La France est sans doute le plus vieil état du monde. Songez plutôt : si l'on prend comme point de départ le couronnement d'Hugues Capet (987, pour ceux qui dorment à côté du radiateur, au fond, près de la fenêtre), le pays s'est très vite constitué autour de sa capitale, Paris. Louis IX (Saint-Louis, pour les intimes et les grenouilles de bénitier), par l'ordonnance de 1254, modernisa complètement l'administration avec un système de contrôle sur ses agents royaux délégués en province, les baillis et les prévôts. En outre, les sujets pouvaient en référer directement au Roi lorsqu'ils le jugeaient nécessaire, reconnaissant, de facto, la supériorité du souverain, et donc de l'Etat, sur les petits grouillots de l'époque, ancêtres de nos estimés fonctionnaires. Il donna aussi ses lettres de noblesse à la Sorbonne (établie à Paris), créa l'ancêtre de la cour des comptes et fit réévaluer la monnaie. Cela se poursuivit au fil des siècles, selon que la France perdait ou gagnait des territoires (notez qu'elle ne perdit jamais de territoires dans des proportions alarmantes). Tout ceci fut préservé jusqu'à Napoléon Ier qui introduisit une seconde réforme majeure avec le Code Civil (le fameux texte bien chiant pour les défenseurs du "mariage pour tous"), les départements et les Universités. 
Il y a donc dans ce régionalisme nouvellement exacerbé une forme de cynisme malvenu en ces temps de crise où les territoires les plus riches veulent leur indépendance afin d'abandonner le navire en pleine tempête, remettant complètement en cause la solidarité nationale induite par l'Etat-Nation. Emile Durkheim serait étonné de voir aujourd'hui à quel point il avait raison lorsqu'il évoquait l'isolement néfaste qu'avait provoqué le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique. Mais bon, il paraît que ça s'appelle la modernisation de la société et des moeurs et que c'est très bien comme cela. M'est avis que l'inflation des actes de violence provoqués par cette course aux communautarismes et au repli sur soi n'en est qu'à ses débuts. Qui prendra alors la suite de Durkheim pour rédiger Le Suicide, tome 2 : 115 ans après ?