Nelson Mandela, Cape Town, 1990
Crédits Photo : Walter Dhladhla/AFP/lefigaro.fr
Bonsoir à tous
Il y a des moments heureux dans une vie. Des visages souriants d'anonymes, que l'on croise au détour d'une vie. Il y a des destins, certains s'inscrivant dans la joie, d'autres dans la peine. D'autres encore dans l'adversité. Ce soir, ce n'est pas un moment heureux. C'est un moment difficile pour le monde entier. Car il est rare de voir une personnalité provoquer à ce point le respect, l'unanimité autour d'elle dans le monde entier. Or, avec l'humilité qui le caractérise, Nelson "Madiba" Mandela a réalisé cet exploit, justement parce qu'il triompha avec brio d'une adversité retorse.
Plus qu'un citoyen, plus qu'un politique chevronné, plus qu'un résistant militant et convaincu, c'est un symbole qui nous quitte. Celui d'un homme qui croyait en ses convictions plus qu'en toute autre chose. Au point de sacrifier sa famille pour cette cause. Madiba était en prison lorsque l'un de ses fils s'est tué dans un accident de voiture. Il a eu trois femmes différentes. Et ce n'est qu'à 80 ans qu'il décida enfin de s'accorder le repos qu'il méritait plus que quiconque pour s'occuper des siens.
Le symbole incarné par l'enfant de Mvezo, où il est né (Province du Cap), c'est celui du pardon comme clé de réunification d'une nation abîmée dans la ségrégation raciale. Car on a tous en mémoire sa résistance à l'Apartheid, ce régime de la honte, ultime avatar d'une colonisation anglo-saxonne visant à un remplacement de population plus qu'à une coopération avec les autochtones. On conserve à l'esprit ses années de captivité à Robben Island et le fait qu'il fut le premier président noir d'un pays aux plaies béantes.
Mais le tour de force de Mandela, c'est d'avoir su pardonner. Il a pardonné à ses geôliers, et il l'a montré, par exemple, en acceptant d'avoir des Blancs dans son service de sécurité. Mandela a également réussi à donner une crédibilité économique à son pays en se servant du sport comme vecteur de développement. Tout le monde se souvient de son visage éclairé lorsqu'il remit la Coupe du Monde de rugby à François Pienaar, le capitaines des Boks, en 1995. L'Afrique du Sud est également le premier pays à avoir organisé une Coupe du Monde de football.
Il laisse la présidence en 1999 après un seul et unique mandat. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Un pays où un parti politique écrase les autres, l'ANC, où la corruption des élites fait rage, jusqu'à la présidence, et où les Noirs ont aujourd'hui un sentiment de revanche très fort envers les Blancs, dans un climat d'insécurité grandissant.
Vous me direz que je dresse là un tableau bien sombre, et c'est vrai. Peut-être est-ce pour ne pas voir cela que Madiba a choisi de nous quitter, de peur de voir son héritage bafoué.
Il y aurait beaucoup à dire sur Nelson Mandela, né, comme un symbole, en 1918. Il connut ainsi la 2e Guerre Mondiale, la Guerre Froide et la Mondialisation, corollaire d'un monde redevenu multipolaire, comme au lendemain du Traité de Westphalie, en 1648. Témoin de son temps, témoin d'un monde qui aura autant évolué en si peu de temps, il serait regrettable que l'oeuvre de Mandela ne devienne qu'un mythe, une légende sans lendemain à cause de la haine, de l'esprit de revanche.
N'oublions jamais que le plus beau legs que Nelson Mandela nous laisse, c'est sa main tendue envers les tortionnaires du peuple noir de ce pays d'Afrique méridionale. Car plus qu'un geste, il témoigne d'une grandeur d'âme sans commune mesure, une véritable leçon pour tout à chacun. Reste l'espoir, ce même sentiment qui anima le coeur du prisonnier n° 46664 à Robben Island. Les Sud-Africains ont, à cet égard, une lourde tâche qui les attend. Qu'ils n'oublient pas que, désormais, un grand Homme les observe.
Repose en paix, Madiba.